L’exposition, conçue avec des étudiants et des enseignants de l’ESA Saint-Luc Liège, a été inaugurée ce 11 novembre à Dortmund
Deux ans et demi après le lancement du projet, l’exposition Unfree Labour a ouvert ses portes au public à la DASA à Dortmund où elle reste visible jusqu’au 15 janvier. Fruit du travail d’étudiant.e.s et d’enseignant.e.s de notre école, mais aussi de l’Université de Liège et de l’Université du Luxembourg, cette exposition interroge la limite – floue – entre le travail libre et le travail non-libre, à travers un focus sur quelques situations qui nous sont, pour certaines, assez familières. Elle adresse aussi des questions aux consommateurs et consommatrices que nous sommes toutes et tous… L’exposition a été réalisée en partenariat avec quatre musées, qui la présenteront successivement : outre la Dasa, qui l’accueille actuellement, l’expo sera aussi présentée au Muar (Kayl, Luxembourg) en février prochain, à la Fonderie (Bruxelles) en juin et au Bois du Cazier (à l’automne prochain).
Une conception muséographique et scénographique basée sur des propositions initialement formulées par des étudiants
Après les premières réunions entre partenaires du projet, un workshop de deux jours a été organisé en octobre 2020 par les étudiants de master en Design social et numérique (CVG), avec Marie Sion, Olivier Evrard et Florence Plihon. Ce grand brainstorming a rassemblé une quarantaine d’étudiants de différents horizons ainsi que plusieurs spécialistes et a permis de tracer les grandes lignes l’exposition :
parler de situations actuelles, dans nos trois pays (Belgique, Allemagne, Luxembourg) ;
souligner l’écart entre les textes officiels ou de référence (Droits de l’Homme, Organisation mondiale du travail…) et la réalité concrète, vécue, à travers des témoignages ;
s’adresser prioritairement aux jeunes adultes, sur le point d’entrer dans la vie active, susceptibles de se retrouver dans des rapports de domination et d’exploitation ;
proposer à tous les visiteurs d’ouvrir les yeux sur ce thème qui demeure un tabou et de réfléchir sur des questions qui restent floues : où est la limite entre le travail librement choisi et le travail « non-libre » ? Quand ai-je le choix, quand ne l’ai-je pas vraiment ? Quel est mon propre rôle dans ces mécanismes de domination et d’exploitation ?
donner l’envie de s’engager et contribuer à la protéger les jeunes – entre autres – de ces situations de travail inéquitables.
Comment traduire ces intentions par la scénographie et le design graphique ?
Les concepts qui sont-tendent la forme, l’ambiance et l’identité visuelle de l’exposition sont : l’inconfort, le flou, l’invisible rendu visible (ou inversement), l’identité qui s’efface, l’évocation de situations concrètes, familières pour la plupart, le tout sous le regard de jeunes femmes et hommes, qui nous fixent dans les yeux
Concrètement, bien que l’exposition ne soit pas grande, le parcours évoque le labyrinthe, avec quelques passages légèrement oppressants. Des « vitrines » qui présentent par quelques accessoires et mises en scène derrière un fin grillage plutôt qu’une vitre. Il faut faire un léger effort pour regarder à l’intérieur. Ce ne sont pas des trésors qui sont mis en valeur mais des éléments de la vie quotidienne, à regarder selon une nouvelle perspective. Cela peut mettre mal à l’aise. Pour passer d’un thème à l’autre, d’une section à l’autre, il faut se faufiler entre des visages des jeunes hommes et de jeunes femmes, qui nous regardent dans les yeux. Leur regard déterminé est très interpellant. Ils nous disent qu’ils veulent travailler librement ! Dans les différentes parties de l’exposition, les « objets authentiques » àmettre en valeur sont des témoignages, des interviews, du vécu raconté de différentes manières. Le visiteur doit regarder attentivement, écouter, tendre l’oreille, fouiller, pédaler, chercher à comprendre des réalités diverses, si proches de nous et pourtant si peu visibles.
Le visiteur entre dans un chantier de construction : l’échafaudage exprime une situation concrète où se pratique parfois l’exploitation de personnes en situation précaire. De plus, l’échafaudage est universel et son principe existe depuis des siècles. Sur un plan plus conceptuel, il renvoie à l’idée de chantier, en tant que travail en cours, à la fois pour rendre visibles des situations que nous ne voulons pas toujours regarder en face, et pour montrer que les solutions sont toujours cours en construction. Les bâches translucides qui entourent l’espace d’exposition permettent d’apercevoir certains éléments, en cachent d’autres, jouent sur le flou.
A l’entrée, des cubes portant des extraits de grandes déclarations, accueillent le visiteur. Chacun a droit au travail, à des conditions de travail équitables etc. Bien sûr, quoi de plus normal ? Qui prétendrait le contraire ? Pourtant, le portrait « haché » de l’affiche semble dire autre chose : le travail peut troubler, affecter notre propre identité, déshumaniser parfois. Ce visage, comme passé à la déchiqueteuse de documents, nous fixe avec un air déterminé qui peut mettre le visiteur mal à l’aise. Le ton est donné.
En tant qu’enseignants, nous sommes heureux d’avoir pu travailler sur cette thématique avec nos étudiants et avec nos collègues Sophie Goblet, Marie Sion, Florence Plihon, Maud Dallemagne et Daniel Renzoni, pour ne citer que celles et ceux qui se sont le plus impliqués. Pour les musées partenaires de ce projet, travailler avec des jeunes en cours de formation constitue une prise de risque – même s’ils sont encadrés par leurs enseignants – et nous les remercions chaleureusement de nous avoir fait confiance pour mener à bien avec eux ce beau projet.
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