C’est avec fierté que l’École Supérieure des Arts Saint-Luc Liège a vu Doris Michel être nominée aux HERA Awards 2020 de la Fondation pour les Générations Futures. Après un bachelier en Photographie, elle s’est tournée vers le master en Design social et numérique (Communication visuelle et graphique) dans le cadre duquel son mémoire, Captives, a été sélectionné pour ces HERA Awards. On vous en dit plus !
Les HERA Awards
Les Higher Education & Rewards Awards for Future Generations récompensent des mémoires et des thèses de doctorat toutes disciplines confondues et qui se distinguent par leur démarche systémique (à 360°) et la valeur ajoutée sociétale. Il y a neuf catégories différentes, parmi lesquelles “Sustainable Design” — catégorie dans laquelle Doris Michel a été nominée pour son mémoire, aux côtés de deux autres personnes.
La cérémonie de remise des différents prix aurait dû se tenir au début de ce mois de mai ; c’était sans compter la pandémie du covid-19. Les HERA Awards ont donc décidé d’adapter l’événement en publiant, durant sept semaines, des vidéos de tou·te·s les primé·e·s de 2020 qui, à travers leurs travaux, souhaitent participer à la transformation du monde de demain (plus d’infos par ici). Doris Michel sera bien entendu de la partie, découvrez-en plus dans la suite de cet article.
© Doris Michel
Doris Michel et Captives
Diplômée de la section Communication visuelle et graphique en 2019, Doris Michel a clôturé son master en Design social et numérique par un travail autour d’ateliers graphiques en prison. Son mémoire s’intitule Captives. Comment l’imagination et la créativité peuvent favoriser le processus de réinsertion post-carcérale des femmes en Belgique ? et a été encadré par Marie Sion, professeure d’atelier et de production et médiation du Master en communication visuelle et graphique, orientation design social et numérique.
Sur le site des HERA, on en retrouve la description suivante :
Le travail de Doris Michel repose sur un pari : l’art peut constituer une piste, parmi d’autres, pour la réinsertion socio-professionnelle d’anciens détenu·e·s. L’auteure a réalisé un état des lieux détaillé du système pénitentiaire belge, du processus de réinsertion post-carcéral et de la pratique artistique en prison. Elle a ensuite mis sur pied, pendant un mois, trois ateliers graphiques (collage, collage et dessin, édition) avec cinq détenues de la prison de Lantin, avec l’objectif de renforcer leur confiance en soi et les aider à se projeter dans la vie d’après la prison. Sur le plan méthodologique, Doris Michel s’est inspirée des méthodes d’innovation sociale comme le design social, soit un ensemble d’approches et d’outils élaborés en co-création avec le public concerné et destinés à faire émerger de nouvelles formes de citoyenneté. Cette méthodologie spécifique peut également s’appliquer dans les établissements pénitentiaires masculins ou de type Institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ).
Il est possible de trouver une version plus détaillée de ce mémoire avec des photos à l’appui pour mieux se rendre compte du travail mis en œuvre et accompli, tant bien par Doris Michel que par les détenues.
Nous vous proposons de rejoindre Doris Michel, ainsi que les deux autres personnes de la catégorie Sustainable Design, le jeudi 18 juin à 10h pour un webinar sur le design thinking. Les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes : cliquez ici.
Présentation du mémoire à l’expo de fin d’année de l’École © Doris Michel
Rencontre avec Doris Michel
Comment t’est venue l’idée de travailler dans ce milieu particulier qu’est la prison ?
Pour répondre à cela, je dois remonter dans mon parcours scolaire. J’ai en fait d’abord réalisé un bachelier en Photographie à Saint-Luc et pour mon TFE, j’ai voulu travailler sur la thématique de la liberté. Après avoir contacté plusieurs établissements, je me suis retrouvée à la prison de Marche-en-Famenne. De fil en aiguille, mon travail de fin d’études s’est transformé en un travail sur l’enfermement. Donc le milieu carcéral était déjà présent à cette époque-là. Quand j’ai repris le master en Design social et numérique en CVG, c’est à nouveau vers ce milieu que je me suis orientée, car le design social vise à travailler sur des thématiques sociales, sociétales via l’artistique. La prison est revenue naturellement à moi pour boucler la boucle, si je puis dire, en passant de l’enfermement à la réinsertion.
Pourquoi te consacrer particulièrement à la réinsertion ?
Il faut savoir que la question de la réinsertion est omniprésente en prison. Dans mes discussions avec les détenu·e·s, revenaient souvent des interrogations du type “que vais-je faire après ma sortie ?” ou encore “comment vais-je m’en sortir ?” J’ai appris qu’en fait, la plupart arrivent en prison très jeunes, pour des faits mineurs. À leur sortie, ils ou elles n’ont pas de deuxième chance et que trop peu d’options ; cela se résume bien souvent à : être à la rue ou être en prison. Ces personnes rentrent alors dans une spirale infernale. De mon côté, je suis persuadée que la réinsertion serait plus que bénéfique si elle était menée correctement, avec des moyens conséquents.
Et comment as-tu concrétisé l’idée durant ton master ?
En design social, on crée des ateliers, on travaille avec et pour les gens, etc. Comme j’étais déjà passée dans le milieu carcéral et qu’en fait, il s’est révélé hyper enrichissant et intéressant, j’ai pris contact avec Claire Denis qui donne des cours d’arts plastiques à Saint-Luc Liège Promotion sociale mais aussi des cours à la prison de Lantin (Initiation au dessin d’observation et Formes et couleurs) ; c’est elle qui m’a permis d’entrer à Lantin. L’idéal pour mon mémoire aurait été de réaliser mes ateliers dans plusieurs prisons mais elles ne répondent que trop rarement à des propositions d’ateliers artistiques par manque de temps et de budget mais aussi en raison de la lourdeur administrative qu’ils requièrent.
J’ai donc travaillé avec cinq détenues durant en mois et leur ai proposé différents ateliers. Ce que je voulais avant tout, c’était leur proposer un espace de parole libre. Je n’ai pas voulu imposer des choses ou encore un agenda. Et c’est justement grâce à cette liberté qu’elles ont adhéré aux ateliers. D’ailleurs, je me rends compte qu’elles ont été tout de même marquées en recroisant l’une d’entre elles un an plus tard. J’ai trouvé ça génial d’avoir eu un tel impact !
Comment cela a-t-il été reçu par tes profs ?
Très bien ! Même si la plupart des gens lèvent les sourcils quand je leur dis que je vais travailler en prison (et que j’apprécie cela !), à Saint-Luc, mes profs ont été d’un grand soutien, surtout ma promotrice, Marie Sion. Philippe Landrain, Pierre Smeets mais aussi Maud Dallemagne m’ont beaucoup aidée également. J’aime beaucoup l’ouverture d’esprit en CVG, ils acceptent qu’on soit complètement nous-mêmes dans nos projets. J’aimerais souligner au passage que lors de mon bachelier en Photo, j’ai reçu aussi un excellent accompagnement de la part de mes enseignants.
Peux-tu nous parler de ce choix vers le master en design social et numérique ?
Lorsque que j’étais étudiante en Photo, j’ai effectué un stage chez Martin Dellicour, qui est photographe et graphiste. C’est grâce à lui que j’ai découvert le graphisme. C’est pourquoi, entre mon bachelier et mon master, j’ai suivi des cours d’infographie en promotion sociale. Puis quand j’ai appris que Saint-Luc ouvrait des nouveaux masters, j’ai été séduite par celui en design social qui mêle l’artistique et l’humain. C’est exactement ce que je cherchais en Photo : faire de l’humain. Pour la petite anecdote, comme c’était un nouveau master, des nouvelles épreuves d’admission étaient organisées. Sauf qu’il y a eu un mic mac dans les consignes et j’ai été… refusée ! Encore heureux que l’erreur a été remarquée ! J’ai pu ensuite intégré le master, où je me suis sentie comme un poisson dans l’eau, au point de le finir avec une grande dis’ !
Qu’as-tu appris durant ce master ?
Ma grande révélation a été la sérigraphie. J’adore ça ! D’ailleurs, je donne des cours et des stages en sérigraphie, technique que j’ai aussi utilisée dans le cadre des ateliers de mon mémoire. Ensuite, tout l’aspect mise en page, éditions, graphisme… Je travaille d’ailleurs maintenant comme graphiste dans une association. Puis surtout, le contact social. J’ai tellement aimé la méthodologie de construction d’ateliers qu’ici, en agrégation, je l’applique pour construire mes leçons ! Je dois aussi dire que j’ai appris beaucoup sur moi-même, j’ai évolué beaucoup durant ces deux années, tant bien humainement que professionnellement. Une excellente décision ce master ! Puis je dois dire aussi qu’il y avait une bonne ambiance entre nous. Nous étions une vingtaine réparti·e·s sur trois finalités différentes mais on partageait énormément, on s’entraidait, on se complétait, on créait…
À présent, tu es donc inscrite à l’agrégation…
Oui, j’aimerais beaucoup enseigner en prison. Durant le master, la didactique est déjà bien présente mais je voulais aller encore plus loin et étudier la pédagogie en profondeur. Je souhaite vraiment m’orienter vers les pédagogies alternatives. Je travaille sur le côté comme graphiste, comme dit plus haut, mais je fais également partie d’un collectif, Les Gaphistes, que j’ai créé avec des camarades du master. Notre ligne de conduite est de faire du graphisme humain et social, la dimension collaborative étant primordiale. On avait commencé en Master 1 un projet, Welcome to Bavière, qui va certainement avoir de suites avec l’Aquilone. On est aussi à chaque fois présents à la Braderie de l’Art et on travaille pas mal avec Dérivation 54, avec qui on partage la même philosophie.
Un conseil pour nos étudiant·e·s ?
Allez-y à fond ! Faites ce qui vous plaît, mettez-y de la passion et persévérez — même si les profs sont parfois dubitatifs au tout début. Si vous y croyez et que vous vous investissez, vous réaliserez vos projets. Et… ne désespérez pas en périodes de jury, ça finit par passer 😉
Un dernier mot sur les HERA Awards ?
J’ai vraiment aimé l’expérience, même si cela ne se clôture pas comme prévu, avec une cérémonie où on peut tou·te·s se rencontrer, discuter, etc. et que j’en suis un peu triste. La bonne nouvelle, c’est que ce n’est que post-posé, on se retrouvera quoi qu’il arrive. Pour avoir déjà rencontré la plupart des nominé·e·s et les membres de la fondation en février dernier, je me réjouis de réitérer l’expérience. Je trouve que la fondation fait un chouette travail. Et puis ils me permettent encore maintenant de tester quelque chose de nouveau puisque le 18 juin prochain, je participerai donc à mon premier webinar !
Rendez-vous pris !
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Webinar : “Le design thinking : penser de manière dynamique et systémique” (18 juin à 10h)